capable de faire grand-chose / à l’intention du Penseur, aussi peut-être / le scribe mérite-t-il d’être abandonné à l’oubli / et ce qu’il subsiste d’eux deux / s’avère capable de franchir le septième seuil / de ce qui nous est laissé comme un héritage” (Dédoublement avec lui).     

            Ces genèses répétées, poursuivies à proximité ou en présence du Créateur, ne représentent pas toute la mesure de la démarche constructive; parallèlement, on nous suggère une perception apocalyptique du monde, de vrais ébats du sadisme luciférien.

            Comme dans le cas des esprits congénères, d’une grande originalité, dans la poésie de Paul Sân-Petru, distinctions et formules réputées incompatibles interfèrent et muent en un alliage dont les composantes finissent par ne plus être discernables. La poésie se génère comme un état méditatif qui se destructure uniquement en une spécificité chrétienne et dans une atmosphère ludique.

            Il existe, dans la poésie de Paul Sân-Petru, le mirage d’un espace abstrait, spéculatif, la tendance à philosopher avec les éléments concrets: „Tant de variantes à l’intention d’une seule et unique péripétie / seulement, un vote impersonnel ne choisirait que celle-ci / pour le reste, tout reste sur place, c’en est fait de notre chance / pour un autre millier d’années à venir, voilà / nous avons si gentiment évité une inflation des aventures; elles ne trouveraient même pas de place sur un mètre carré / par tête d’habitant, gloire donc à l’équilibre écologique / et à Celui qui ne laisse au gêne exceptionnel sinon / une chance de un à un milliard. // Le monde est en train de glisser sur certains événements / bien ancrés dans la réalité / de temps à autre, il y en a qui change quelque chose / tout en s’ajoutant à leur pauvreté / ensuite tout un chacun, son sort chevauchant quelque aventure / (il y en a aussi qui abat autrement ou de travers / l’autre), tout en passant, en même temps, à chacun / en longueur, sous les scellés, des variantes de luxe // Est-il personne pour dire que la vie n’est point douce, mais confuse / toute pareille au miel de mille fleurs opportunément trouvées / à deux pas du rucher le plus pragmatique” (Variantes événementielles). 

            L’apparente rigidité religieuse se transforme vite en jeu à la Arghezi, à cache-cache, dans une sorte d’incantation magique: „ Faute d’espace et faute de temps / la mort s’incarne en moment / Faute de temps et faute d’espace / un monde négatif se prélasse / Hyperespace, hyper-temps / hyper-dieu à hyper-nimbe / Lui, qui est plutôt affection / notre chance de sacralisation” (Chance).

            Le poète rend séquentiel le volume par cycles – cette division a un sens – lesquels n’y apparaissent pas pour autant: L’apprivoisement de la bête, La marche sur la pointe de la plume, Le sac de boxe, Mon père, île sans sortie, Vernissages marins, Notions d’amour. Parfois, le discours lyrique, pénétré par une profonde religiosité, comporte une poésie simple d’humiliation et de fraternisation avec le vent, la pluie, avec les éléments naturels, comme dans la prière de Saint François d’Assise: „Si ta pensée pareille au vent / pouvait transformer un regard / ou le regard un sentiment / alors range-toi dans nos rangs / on a besoin de toi, allez ! / range-toi aussi dans nos rangs, toi ciel à l’air bénéfique / toi soleil à la douce lumière rangez-vous aussi / ceux qui croyez, rangez-vous dans nos rangs et restez-y /le poème n’est pas encore terminé...” (Plaidoyer pour la même pensée).

            L’état actuel de la poésie de Paul Sân-Petru oblige à une réévaluation de la place de l’auteur dans le contexte contemporain, comme à une relecture de son oeuvre antérieure.

            La question que devrait se poser - de manière itérative - la critique littéraire, n’est pas: Qu’est devenu ce grand poète jusqu’à présent ? mais: Que sommes-nous mêmes devenus durant tout ce temps, pour ne pas avoir remarqué ce créateur géant, original et édificateur d’une spécifique territorialité lyrique ?

            Comme d’habitude, le Grand Inconnu, le Grand Poète attendu depuis si longtemps par bon nombre d’entre nous, est là depuis belle lurette. Le temps est venu de l’observer de plus près.

Aureliu GOCI